L'entrepôt
Les premiers rayons du soleil crevaient joyeusement le brouillard matinal. Les agentsde la propreté de Nimes se chargeaient d'effacer les traces d'urine sur le trottoir et sur les murs sans oublier que dans l'heure qui allait suivre, des milliers d'energuménes allaient souiller une fois de plus leur travail. « Ils sont vraiment cons ces humains » murmura Smirr.
Par la fenêtre, les rayons continuaient leur travail. Ils chauffaient le lit à l'endroit favori de Smirr. Bientôt ils allaient se poser sur le visage de la patronne, et elle allait lentement se dresser tel un zomby magnifique. Mais ce matin la patronne se leva bien avant. Son boitier de plastique dur qui ne la quittait jamais émit un bruit ignoblement strident. Pas de zomby ce matin, mais une élegante tornade qui fit taire la boite à bruit en une seconde et un quart. Trois seconde aprés elle était hors du lit. Cinq secondes, elle était habillée. A la dixième seconde, elle s'affairait déjà à manipuler une poudre noire odorante dont elle semblait accroc. Le jus noir coulait à peine dans le ballon de verre qu'elle s'alluma un morceau de paipier qui avait la particuliarité de dégager une fumée des plus irritante mais que les humains semblaient adorrer. « Ils sont vraiment cons! » se dit Smirr en contemplant sa patronne qui recrachait d'épais brouillards de fumée toxique.
Abandonnant sa patronne à son retard et à ses addictions, Smirr se dirigea vers sa coupe de terre cuite nourissant l'espoir de la voir remplie de croquettes. La satisfaction fut manifeste, mais de courte durée: un misérable morceau de saucisson sec avait été déposé là, comme si l'on avait pensé qu'un chat de la trempe de Smirr allait s'abaisser à manger cette viande séche et salée!
Il manifesta son indignation à sa patronne, laquelle versait le jus noireâtre dans un bol sans prêter attention au quadrupéde qui criait au scandale sous la table. Le scandale allait bon train( Smirr n'était pas avard de miaulements pour s'exprimer) quand soudain une pantoufle surgie de nulle part l'atteignit sur le flanc. Courroucé, Smirr fila dans le couloir se mettre à l'abrit. Il n'aurai pas son lait ni ses croquettes ce matin, à moins que la caféino-dependante en peignoire ne songe à lui remplir l'estomac... Ce qui n' arrivait que rarement.
Devant la famine qui s'acharnait sur les chats dans cette cuisine, il se résigna à partir en chasse. Son territoire n'était hélas pas bien grand.
Le salon n'abritait aucune souris. La chambre de la patronne avait bien un hamster, mais d'épais barreaux protégaient l'amuse gueule.
La faim le tenaillait de plus en plus. Il revint à la cuisine, mais la patronne n'était plus là, elle s'éait enfermée dans la salle de bain. Se tremper pendant une demi-heure et se badigeonner de gel amére parfumé à l'amande, voilà bien une des coutumes dont les humains ne peuvent se passer. Mais qu'est ce qui pouvait les motiver par la suite à se vaporiser une substance irritante et cancérigène sous les bras?
Méditant sur ces constatations, Smirr traversa une fois de plus le couloir pour accéder à La Porte.
Celle ci était toujours fermée. Une fois il avait réussi à apercevoir ce qui se cachait derriére: un escalier, puis un monde flou dont il ne se souvient pas vraiment. Tout était si lumineux.
Un bruit sec, un courant d'air chaud, humide et parfummé. La patronne sortait de son sauna sur la pointedes pieds, une serviette autour de la taille. Elle en avait alors pour deux minutes à s'habiller et préparer ses affaires, alors il aurait le temps d'inspecter la cuisine en quête de nourriture.
La table lui offrit une moitié de pain au chocolat. A choisir, il aurai preferé le saucisson sec, mais un plat volé gagne cent points de plus en saveur.
Les pas saccadés se rapprochaient: Smirr bondit à terre et fila sous la tale, son butin entre les crocs. La patronne ne se rendit pas compte de la disparition de la vieinnoiserie. Elle s'empara de ses clés bruyamment et ouvrit la porte de la cour. Smirr passa la porte une fraction de seconde avant qu'elle ne se referme lourdement. L'air était vif, mais au moins allait il pouvoir marquer son territoire et pourquoi pas aprés chasser le piaf.
Aprés trois vaines heures d'affut, il s'endormit sur une chaise de jardin.
La journée passa incroyablement vite.
La nuit venue, le grand patron ouvrit la porte au moment opportun, et Smirr entama un discours animé sur la faim qui le tenaillait et le manque de gibier dans la cour en béton. Il recu enfin sa pâté.
La patronne n'était déjà plus là quand il se réveilla. Le lit avait encore la tièdeure de son occupante, il s'étalla de tout son long pour profiter au maximum de cette délicieuse chaleure qui contrastait avec l'air frais de la chambre mal isolée. La patronne était déjà devant la cafetière, préparant un jus noir, le morceau de bois fumant entre les dents. Un individu étranger s'affairait en même temps devant la chaudiére et marmonnait en turc, manipulant d'inquiétants outils chromés.
Smirr décida d'aller voir ce turc de plus prés. Il sentait l'ail et l'eau de cologne bon marché.
Dérangé par ce visiteur insolemment bruyant et malodorant, il s'engagea dans le couloir pour respirer un air moins chargé en fumées nocives. En effet, il trouva l'air plus vigoureux et riche en flagrances attirantes. La Porte était ouverte. Un monde à découvrir se présentait, devant lui.
L'escalier dévalé, il se trouva à l'entrée d'un territoire inconnu et singulier. Le sol était glacial, les murs rugueux et gris, des résidus de produits toxiques sur le sol collaient à ses pattes. Plusieurs hommes vêtus de bleu gesticulaient et craient des ordres. Smirr jugea bon de se camoufler sous un monticule de bois. Tout ce monde, ces lumiéres, cette agitation.. Et ces ronronnements mécaniques qui se muaient en de véritables rugissements! Aucune odeure familiére ne trainait en ce monde violent et décalé. Il se sentait misérable face à ces horribles engins jaunes et noirs, impétueux prédateurs qui pourtant et comble de l'horreure obéissaient à de sombres humains dénués de sentiments, veritables robots de chair et de peau qui s'agitent dans un bien curieux terrier.
Comme il désirait retourner d'où il venait! Il n'avait jamais été aussi mal, ce monde nouveau ne valait pas la peine d'être connu, mais il ne pouvait s'en extraire sans risquer d'être découvert. Qui sais ce qu'ils lui auraient fait! Peut être qu'ils avaient faim, ces monstres d'acier jaune, et que les félins fesaient partie de leur mets favoris?
L'angoisse l'étreignait de ses mains glacées. Il commençait à laisser échapper un miaulement de terreure destiné à sa patronne, ou même au turc qui lui au moins avait l'air humain, quand soudain un des prédateurs se dirigea vers lui, le fixant de ses yeux blancs aveuglants. Deux énormes canines argentées jaillissaient de sa bouche toute baveuses d'huile.
Il était perdu. Le corps à corps fut bref mais intense. Le colosse d'acier dirigé par le robot de chair ébranla la cachette de Smirr, qui lui même lança deux coups de pattes sur les canines du monstre. Peut être que ces ripostes eurent pour effet de faire reculer l'agresseur, mais en tout cas l'issue du combat fut douloureux car le maladroit emporta la cachette de Smirr avec lui.
Une douleure fulgurante secoua le félin du bout de sa queue jusqu'à ses moustaches. Le vent glacé qui parcourait l'entrepot se fit sentir sur son dos particuliérement intensément. Il n'avait plus de peau sur le dos. Le souffle coupé, la vision brouillée, il regardait son sang couler sur le béton, formant une flaque de plus en plus épaisse.
Le monstre d'acier jaune cessa de ronronner. Plusieurs humanoïdes en salopettes bleus braillaient autour de lui, mais il ne s'en souciait pas. Le sol était délicieusement doux, son sang si beau...
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Les ténébres s'estompèrent pour laisser apparaître un bonhomme bleu à lunette. Il tenait un morceau de plastique avec du fer au bout. L'air sentait la peur, la souffrance et le désinfectant.
Son dos lui fesait à nouveau souffrir le martyr, mais le bonhomme bleu lui toucha le ventre avec son objet en plsatique assez fort pour que la douleure ventrale prenne le dessus sur la dorsale... pour un très court instant. Une minute plus tard, la piéce se mit à tourner très vite et les couleurs s'agitérent.
Puis les ténébres prirent le relais.
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Le brouillard s'estompait petit à petit, et la lumière refit son apparition. Cette fois ci il se trouvait sur le lit de la patronne.Avait il fait un de ces rêves? L'étrange tissu qui couvrait son dos lui fit comprendre que non. Et quand il se releva, il comprit qu'il avait perdu une sacrée bagarre. Ses membres ankyosés le trahissaient à chaque pas, et sa vision restait encore brouillée par les antidouleurs de l'homme en bleu. A ses cotés, ses patrons restaient debouts, perplexes.
Smirr miaula en regardant sa gamelle. Pourquoi lui refilaient ils toujours ce satané morceau de saucisson?!?